Extrait p. 86.
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Prostitution et drogue : un cercle vicieux
La prostitution me faisait rencontrer des hommes psychotiques dangereux. Un soir, j’ai échappé de peu à la mort avec un client possessif et jaloux qui croyait avoir des droits sur moi. Il avait pointé une arme à feu dans ma direction ; heureusement que d’autres hommes sont venus à ma rescousse. Il avait néanmoins réussi à envoyer du gaz lacrymogène dans ma chambre par le trou de la serrure voulant tous nous asphyxier. Une poursuite à voiture aux allures de course s’en était suivie dans les rues de Mulhouse et qui avait fini par être stoppée grâce à l’intervention de la police. Les journaux parlaient de moi le lendemain et tout le monde pouvait connaître ma situation et savoir que je me prostituais, mais je m’en fichais pas mal ! Je me disais qu’au moins on savait que j’étais encore en vie.
Je tournais de plus en plus mal et perdis ma chambre, me retrouvant dans la rue une fois de plus. Je logeais çà et là et me heurtais à des situations de plus en plus graves et dangereuses, jusqu’à ce que mes moyens financiers me permettent de reprendre un studio, sans que j’aie à justifier d’un travail et de fiches de paye. J’étais soulagée, car je n’avais plus la force de suivre ce monde de la rue devenu dur et violent. Bien que ce studio fût un clapier à cafards, il m’offrait le luxe de prendre à nouveau des douches et de dormir dans un vrai lit. Et le must était de pouvoir recevoir mes « clients » dans de bonnes conditions et me refaire un peu d’argent pour redémarrer une vie « normale ». C’est ce que je cherchais au plus profond de moi, changer de vie pour un avenir plus sain, mais je me leurrais, car plus j’avais d’argent, plus je prenais de la cocaïne, que je consommais uniquement en intraveineuse pour que l’effet soit à son apogée. Oublier, planer… planer, oublier… était devenu mon leitmotiv.
Je consommais jusqu’à quatre grammes par jour par injection dans la salle de bain qui finissait, comme moi, maculée de sang. Je me piquais pour obtenir un effet plus puissant et les seringues à moitié bouchées finissaient dans la baignoire et le lavabo. J’enchaînais un shoot après l’autre, juste le temps de sentir la montée et de préparer le suivant. C’était de la pure folie. Je devais m’y reprendre à plusieurs fois pour trouver une veine, voir le sang affluer dans la seringue, et enfin ressentir l’explosion du produit qui, l’espace de quelques secondes, envahissait tout mon corps, l’enrobant d’une chaleur intense, puis atteignait mon cerveau pour me donner une sensation de toute-puissance, qui retombait tout aussi rapidement. Souvent, je devais sortir chercher un autre gramme parce que je n’arrivais plus à m’arrêter ; il m’en fallait encore plus. C’est ça l’effet de la drogue.
Alors que j’étais dans un état d’excitation épileptique, je me lavais vite les mains, j’enfilais une veste et j’enfourchais nerveusement mon vélo pour aller retrouver mon dealer à l’autre bout de la ville ; je m’arrêtais au distributeur bancaire juste le temps de retirer de l’argent pour payer cette poussière blanche qui coûtait soixante-dix euros le gramme à cette époque. Je traversais à toute allure la ville en diagonale empruntant les trottoirs que je connaissais par cœur pour aller plus vite ; je savais aussi où m’attendait chaque flaque d’eau sur ce circuit de la mort. Il fallait que je sois prudente toutefois, pour ne pas me faire repérer et arrêter par la police, car avec les pupilles dilatées, les cheveux trempés, les bras ensanglantés et mes gestes survoltés, je risquais l’enfermement sur le champ. Je voyais bien le danger et les risques que je prenais en agissant de la sorte, surtout que la cocaïne rend complètement parano, mais la folie m’avait gagnée et je ne perdais plus grand-chose, puisque ce qui m’était le plus cher, je l’avais perdu. C’est comme si j’avais une double personnalité, l’une qui ne pouvait plus s’arrêter de s’enfoncer, et l’autre qui connaissait la vérité, le conseil de Dieu, qui était consciente, mais, hélas, impuissante. J’ai même une fois, une seule, invoqué le diable pour être sûre d’obtenir un gramme supplémentaire !..."
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